IndependentWHO – Santé et Nucléaire

«L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ne remplit pas sa mission de protection des populations victimes des contaminations radioactives.»

29 - novembre - 2012

 

Anand Grover, rapporteur spécial pour les droits à la santé aux Nations Unies, a été mandaté par l’ONU pour faire le point sur la situation sanitaire du Japon. Anand Grover a été nommé au poste de Rapporteur spécial des Droits à la Santé de l’ONU en juin 2008. Il exerce, depuis, sa fonction avec une attention toute particulière aux droits sanitaires les plus élémentaires des citoyens du monde vis-à-vis d’industries puissantes, du lobby médical ou encore d’États tentant d’échapper à leurs responsabilités sanitaires.

En novembre 2012, après avoir passé une dizaine de jours dans les régions touchées par la catastrophe nucléaire de Fukushima-Daiichi, il a exposé ses premières constatations dans un communiqué de presse qui évoque les réponses superficielles et insuffisantes des autorités Japonaises face à une situation sanitaire manifestement alarmante.

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Ci-dessous, la transcription du discours d’Anand Grover

Les membres de la presse, Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de commencer par remercier chaleureusement le gouvernement de m’avoir invité au Japon et d’avoir facilité un programme de réunions et de visites riche et intéressant. Lors de ma visite, j’ai rencontré des représentants du Gouvernement, des représentants de la Tokyo Electric Power Company (TEPCO), des experts médicaux et juridiques, ainsi que des représentants des communautés et de la société civile. J’ai aussi visité des villes et les communautés dans les préfectures de Fukushima et de Miyagi, qui ont été touchées par le séisme, le tsunami et l’accident de la centrale nucléaire. Tout au long de ma visite, j’ai reçu un accueil chaleureux et courtois. Il y a eu un échange de vues sincère et franc avec de hauts responsables gouvernementaux. Je suis reconnaissant au Gouvernement et aux ministères compétents pour tous leurs efforts afin d’organiser et faciliter ma mission. Je profite de cette occasion pour remercier tous ceux qui m’ont fait bénéficier de leur temps et de leur expérience.

Dans cette salle, vous trouverez un court document qui explique mes responsabilités en tant que Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale (le droit à la santé). En bref, je suis un expert indépendant qui rend compte au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et à l’Assemblée générale des Nations Unies et les informe de la réalisation du droit à la santé. Bien que nommé par le Conseil des droits de l’homme, je ne suis pas employé par les Nations Unies et le poste que j’occupe est honorifique. En tant qu’expert indépendant, j’exerce mon jugement professionnel en vue d’aboutir à mes conclusions et recommandations.

Aujourd’hui, je voudrais me limiter à parler de certaines de mes observations préliminaires, qui seront examinées plus en détail dans le rapport final présenté au Conseil des droits de l’homme en juin 2013.

Mesdames et Messieurs,

L’objectif de ma mission était de comprendre, dans un esprit de dialogue et de coopération, comment le Japon s’efforce de mettre en œuvre le droit à la santé, quels sont les mesures prises pour le succès de sa réalisation et les obstacles rencontrés. Plus précisément, j’ai abordé la réalisation du droit à la santé dans le contexte du grand tremblement de terre du Japon oriental, en mettant un accent particulier sur les défis et les mesures prises en réponse à l’accident nucléaire, ainsi que sur les leçons apprises et les bonnes pratiques.

Avant tout, je présente mes condoléances aux familles endeuillées qui ont perdu leurs proches et à ceux qui ont souffert du tremblement de terre, du tsunami et de l’accident nucléaire. Le 11 mars 2011, le Japon a subi une triple catastrophe sans précédent lorsque le séisme, le tsunami et la catastrophe nucléaire causée par l’homme sont survenus successivement dans la région de Tohoku au Japon. Cette triple catastrophe a vu la mort d’environ 18 000 personnes et en a blessé des milliers d’autres. Je voudrais recommander au gouvernement du Japon de prendre l’initiative d’un rôle dirigeant dans la réponse à l’urgence.

Je prends également note d’un certain nombre de rapports, y compris ceux conclus par la Commission d’enquête nommée par le gouvernement sur l’accident de Fukushima dans les centrales nucléaires de Tokyo Electric Power Company et par la Commission indépendante d’enquête sur l’accident nucléaire (NAIIC). nommée par la Diète. Je souhaite un débat animé sur cette question.

Il est regrettable de constater que les habitants n’aient pas été mis au courant des plans de gestion des catastrophes dans l’éventualité d’un accident nucléaire. En fait, les habitants de la ville de Futaba à Fukushima ont été conduits à croire, par l’accord de sécurité signé en 1991, que l’usine de TEPCO était sûre et qu’il n’y n’avait aucune possibilité d’accident nucléaire.

Je voudrais recommander au Gouvernement d’avoir en vue une surveillance et un contrôle indépendants des centrales nucléaires dans la mise en place de l’Autorité de régulation nucléaire. Cela répond à l’une des failles du cadre réglementaire précédent, à savoir le manque d’indépendance et de contrôle efficace des centrales nucléaires et le manque de transparence et de responsabilité des autorités de régulation. Ce processus, dont on a grand besoin, a également été recommandé par le rapport de la Commission indépendante d’enquête sur l’accident nucléaire. Il importe donc que le président et les commissaires de l’Autorité de régulation nucléaire soient non seulement indépendants, mais qu’ils soient également perçus comme indépendants. À cet égard, il est acquis qu’il convient de rendre public tout conflit d’intérêts par les titulaires potentiels. Je recommande au gouvernement d’adopter au plus vite une telle procédure, ce qui permettra d’établir une confiance dans l’indépendance du processus de scrutateur.

Chers membres de la presse,

Dans la foulée des accidents nucléaires, la procédure établie est de distribuer de l’iode stable à la population afin de bloquer l’absorption d’iode radioactif chez celle qui y est exposée, réduisant ainsi le risque de cancer de la thyroïde. J’ai le regret de constater que le gouvernement n’a ni donné des instructions ni distribué d’iode stable à la population touchée. Néanmoins, certaines municipalités ont distribué des comprimés d’iode stable de manière appropriée.

Toute catastrophe, en particulier une catastrophe d’origine humaine comme un accident nucléaire, met la crédibilité du gouvernement en question. Il est donc crucial pour le gouvernement de fournir des informations précises et de faire évacuer les gens des zones contaminées. Cependant, il est regrettable que les renseignements sur les doses de rayonnement fournis par SPEEDI et sur le trajet du panache radioactif n’aient pas été immédiatement communiqués au public. En outre, les zones d’évacuation ont été imposées sur la base de la distance géographique à partir du site de la catastrophe et de l’empreinte du panache radioactif, plutôt que sur celle de la dose réelle de rayonnement. Les premières zones d’évacuation ont donc négligé les points chauds. En outre, le gouvernement a utilisé le seuil de 20 mSv / an pour la désignation d’une zone d’évacuation. Ceci a laissé croire que l’effet d’une dose de rayonnement jusqu’à 20 mSv / an était sans danger. Et cela a encore été aggravé par la diffusion gouvernementale d’un certain nombre de publications, notamment des brochures scolaires, informant le public qu’il n’y avait aucune preuve évidente d’un risque direct de cancer si une personne avait été exposée à une dose de rayonnement allant jusqu’à 100 mSv / an.

Le seuil de 20 mSv / an contraste avec la limite statutaire légale imposée par le règlement de 1972 de la sécurité industrielle pour l’industrie nucléaire. Pour les travailleurs d’une centrale nucléaire, la limite maximale d’exposition (dans la zone contrôlée) prévue par la loi est de 20 mSv / an (ne dépassant pas 50 mSv / an) et une dose cumulée de 100 mSv sur cinq ans. La loi interdit l’entrée des citoyens ordinaires dans une zone contrôlée ayant une dose de rayonnement de 1,3 mSv / trimestre et interdit en outre aux travailleurs de manger, boire ou dormir dans cette zone. Elle interdit également aux femmes enceintes d’être exposées à une dose de rayonnement de plus de 2mSv / an dans une zone contrôlée.

Je tiens à rappeler qu’à Tchernobyl le seuil limite pour la réinstallation obligatoire était de 5 mSv / an ou au-dessus, mis à part les niveaux de contamination des sols. Il existe aussi un nombre important d’études épidémiologiques qui indiquent que le cancer et d’autres maladies pourraient se produire avec un rayonnement à faible dose inférieur à 100 mSv / an. Selon ces études, il n’existe pas de seuil limite minimum pour l’apparition des maladies.

Il est regrettable que l’incohérence entre les limites actuelles imposées par la politique d’une part, et les limites prescrites par la réglementation de la sécurité industrielle au Japon, les limites de rayonnement utilisées à Tchernobyl et les résultats des études épidémiologiques d’autre part, ait créé de la confusion dans une majorité de la population locale, qui doute de plus en plus des données et de la politique du gouvernement. De plus, cette situation est aggravée par le fait que les stations de surveillance des rayonnements ne reflètent pas les différents niveaux de dose dans des zones proches les unes des autres. En conséquence, les résidents locaux effectuent leur propre contrôle des doses de rayonnement dans leurs quartiers. Lors de ma visite, on m’a montré de nombreuses données indiquant les variations. Dans ces circonstances, je tiens à exhorter le gouvernement à intégrer toutes les données indépendantes validées, y compris celles des résidents, et de les rendre accessibles au public.

Mesdames et Messieurs,

Selon le droit à la santé, le gouvernement devrait contrôler l’impact des radiations sur la santé des personnes dans les zones irradiées au moyen d’un dépistage holistique et complet et fournir un traitement approprié. À cet égard, je suis heureux de constater que le gouvernement a entrepris une enquête sur la gestion de la santé. Cependant, l’enquête sur la gestion de la santé s’est limitée aux résidents et aux visiteurs dans la préfecture de Fukushima au moment de la catastrophe. J’exhorte le gouvernement à étendre une enquête sur la santé dans toutes les zones touchées par les radiations. Il est pertinent de remarquer que le taux de réponse au questionnaire de l’enquête sur la santé à Fukushima n’était que de 23 pour cent environ, ce qui est considérablement bas. De plus, les bilans de santé sont limités à l’examen de la thyroïde pour les enfants, à un bilan global de santé, un examen mental et du mode de vie, un suivi de la grossesse et de la naissance. La portée de ces enquêtes est malheureusement limitée parce qu’elles tirent peu de leçons de l’accident de Tchernobyl et ignorent les études épidémiologiques qui font ressortir les cas de cancer ainsi que d’autres maladies dus à une radiation de faible dose, même dans les zones d’exposition en-dessous de 100 mSv / an. En m’appuyant sur le cadre du droit à la santé, j’encourage le gouvernement à pécher par excès de prudence et à procéder à des études approfondies, ce qui supposerait l’examen et le suivi de l’exposition à l’irradiation interne pendant une période de temps considérable.

Je suis préoccupé par les informations reçues de résidents dont les enfants ont subi un examen de la thyroïde et dont les résultats ont détecté la présence d’un kyste et / ou de nodules de taille inférieure au seuil prévu dans le cadre du protocole. En conséquence, les parents n’ont pas été autorisés à obtenir un deuxième examen, ni à recevoir des documents médicaux suite à leur demande ; de fait le droit d’accéder à leur propre documentation médicale leur était refusé. Malheureusement, ils sont tenus de passer par une lourde procédure de la législation sur la liberté de l’information pour obtenir ces documents.

Le gouvernement doit aussi accorder une attention particulière à la surveillance des effets des doses de rayonnement sur les travailleurs des centrales nucléaires, dont certains ont été exposés à des doses extrêmement élevées. J’ai été bouleversé d’apprendre qu’il est d’usage courant d’employer un grand nombre de travailleurs sous contrat par l’intermédiaire de sous-traitants. Un nombre significatif d’entre eux sont employés pour de courtes périodes de temps, sans réelle surveillance à long terme de leur santé après la fin de leur contrat de travail. Je demande au gouvernement d’examiner cette question et de veiller à ce qu’aucun des travailleurs qui ont été exposés à des radiations soit laissé sans surveillance et / ou sans traitement.

Chers membres de la presse,

Je suis heureux de constater que le gouvernement a pris des dispositions pour que les personnes évacuées aient des abris temporaires ou des logements subventionnés. Cependant, j’ai appris par les résidents que les centres d’évacuation d’urgence ne disposent pas d’un environnement accessible aux personnes handicapées ni de conditions appropriées pour les femmes ayant de jeunes enfants. Il est tragique que l’évacuation des résidents après l’accident nucléaire ait provoqué des séparations douloureuses dans les familles, ce qui a conduit à une séparation entre le mari et la femme restant avec les enfants, ainsi qu’avec les personnes âgées. Cela a conduit au désordre, à la discorde et même dans certains cas au divorce, provoquant des problèmes de santé mentale et de détresse. Le gouvernement devrait traiter ces questions importantes de toute urgence. La contamination radioactive des aliments est un problème à long terme. Je recommande au gouvernement de réduire le seuil de sécurité alimentaire de 500 Bq / kg à 100 Bq / kg. Cependant, certaines préfectures ont imposé des seuils inférieurs. En outre, les résidents ont fait part de leurs préoccupations au sujet de l’entrée en vigueur des normes. Il est urgent que le gouvernement renforce l’application de la sécurité alimentaire.

Je suis heureux de constater que le gouvernement mène des activités de décontamination des sols par une politique spécifique d’objectifs à long terme visant à réduire à 1mSv / an les niveaux de rayonnement dans les zones où il est actuellement inférieur à 20 mSv / an, et de réduire la dose d’exposition à moins de 20 mSv / an d’ici la fin de l’année 2013 dans les zones de 20 à 50 mSv / an. J’ai le regret de constater qu’il n’y a pas de délai fixé pour réduire le rayonnement dans la zone où l’intensité actuelle de rayonnement est inférieure à 20 mSv / an au niveau de 1 mSv / an. Il est également regrettable que dans d’autres zones l’objectif de décontamination soit très supérieur à 1 mSv / an. Les résidents ont le droit de vivre dans un environnement sain et sans danger. Je prie donc instamment le gouvernement d’adopter un plan d’action avec des échéanciers, des indicateurs et des critères de décontamination clairs afin de réduire les niveaux de rayonnement à 1 mSv / an dans d’autres zones. J’ai été heureux d’apprendre que la décontamination doit être effectuée par des travailleurs embauchés spécialement à cet effet. Cependant, il est regrettable que certaines activités de décontamination soient effectuées par les résidents eux-mêmes, sans l’équipement approprié ou sans information sur les effets nocifs de l’exposition aux radiations.

En attendant, j’encourage le gouvernement à poursuivre et / ou rétablir un soutien financier et des subventions à toutes les personnes évacuées de sorte qu’elles puissent prendre leur propre décision de rester évacuées ou de retourner dans leurs foyers, si elles le souhaitent. Cela permettra également de renforcer la confiance des personnes évacuées dans les plans du gouvernement.

Lors de ma visite, un certain nombre de personnes ont partagé avec moi leur appréhension que TEPCO ne soit pas tenu de rendre compte de sa responsabilité dans l’accident nucléaire. Le gouvernement étant actionnaire majoritaire de TEPCO, les contribuables vont peut-être devoir payer la facture en fin de compte. Le cadre du droit à la santé prévoit des poursuites pour les acteurs responsables des torts qu’ils ont commis. Le gouvernement devrait donc veiller à ce que TEPCO soit également tenu pour responsable et qu’une éventuelle responsabilité ne soit pas imposée aux contribuables.

Mesdames et Messieurs, Membres de la presse,

Lors de la visite, j’ai également entendu des habitants concernés, et en particulier des groupes tels que les personnes handicapées, les jeunes mères et les femmes enceintes, les enfants et les personnes âgées, qu’elles n’ont pas eu un mot à dire dans les décisions qui les concernent. Le cadre du droit à la santé exige de l’État qu’il assure la participation de toutes les communautés dans les décisions qui les concernent. Cela signifie que les personnes concernées doivent faire partie du processus de prise de décision ainsi que de ceux de mise en œuvre, de suivi et de responsabilité. La participation serait non seulement d’informer des décisions de manière holistique, mais aussi de renforcer la confiance de la communauté touchée envers le gouvernement, de faciliter la mise en œuvre de ces décisions et d’en améliorer le suivi et la responsabilité. Ceci est également nécessaire afin de rétablir d’une manière efficace une situation normale après la catastrophe.

Je demande instamment au gouvernement de veiller à ce que les personnes concernées, en particulier les groupes vulnérables, soient pleinement impliqués dans tous les processus de prise de décision. Cela devrait inclure leur participation, entre autres, dans la formulation des enquêtes sur la gestion de la santé, dans la conception d’abris d’évacuation et la mise en œuvre de la décontamination.

À cet égard, je salue l’adoption en juin 2012 de la loi sur la protection et le soutien apportés aux enfants et à d’autres victimes de la catastrophe de TEPCO, qui prévoit un cadre pour le soutien et les soins aux personnes touchées par l’accident nucléaire. La loi n’a pas encore été mise en œuvre. Je demande instamment au gouvernement de prendre des mesures urgentes pour mettre en œuvre cette loi. Il s’agit d’une bonne occasion pour le gouvernement d’encadrer la politique de base et les règlements connexes avec la pleine participation des communautés touchées, y compris les groupes vulnérables.

Mesdames et Messieurs, vos questions sont les bienvenues.

Merci.

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