IndependentWHO – Santé et Nucléaire

«L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ne remplit pas sa mission de protection des populations victimes des contaminations radioactives.»

15 - juin - 2012

Un article d’Aurélie Haroche, paru le 12 mars dernier dans le « Journal International de Médecine », un an après le début de la catastrophe de Fukushima.

Le Japon n’avait pas été étreint par un tel sentiment de communion nationale depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Hier, le temps s’est figé et tout un peuple s’est abîmé dans la mémoire de la colère de la terre, de la colère de la mer et dans la souffrance, compagne mortuaire désormais quotidienne. Souffrance d’avoir perdu au moins 16 000 âmes tandis que 3 000 autres resteront probablement à jamais disparues. Souffrance de ce paysage encore parfois dévasté, bien que la reconstruction progresse rapidement. Et souffrance d’avoir dû laisser s’échapper le sentiment de sécurité nationale, ébranlé si durablement par la catastrophe de Fukushima.

« Le gouvernement doit penser que nous sommes idiots »

Outre l’insaisissable radioactivité, un autre poison s’est en effet immiscé au dessus des terres de l’archipel : le doute. Au Japon, si les méthodes de communication traditionnelles n’ont pas tremblé, demeurant concentrées sur la nécessité de rassurer et de convaincre de l’absence de risque réel, la confiance des populations la plus souvent entière dans les discours publics s’est pour sa part fortement érodée. « Le porte-parole du gouvernement continue à dire qu’il n’y a pas d’effets ‘immédiats’ sur la santé. Il n’évoque pas les risques dans dix ou vingt ans. Il doit penser que les gens de Fukushima sont idiots » résume non sans colère Yoshiko Ota, qui vit à une soixantaine de kilomètres de la centrale désormais fermée.

Des estimations panachées

Si l’inquiétude de ceux qui résident assez loin de Fukushima pour ne pas avoir été évacués, mais assez prêts pour en redouter les conséquences est légitime, la tâche des autorités sanitaires n’en est pas moins ardue. Première difficulté : déterminer la radioactivité à laquelle la population japonaise a été exposée. Les nombreuses incertitudes qui existent en la matière notamment en raison du manque de connaissances précises quant à « la position du « panache » radioactif dans le secteur sud (…) particulièrement pour l’épisode de rejet des 15 et 16 mars 2011 » sont évoquées dans un rapport de l’Institut (français) de radioprotection nucléaire et de sûreté nucléaire (IRSN) consacré aux conséquences sanitaires de l’accident de Fukushima. Aussi, les experts français en sont réduits à parler au conditionnel. « D’après cette modélisation, une dose efficace dépassant 10 mSv aurait pu être reçue, en supposant une présence permanente à l’extérieur, jusqu’à une quarantaine de kilomètres au sud ; des doses efficaces dépassant 50 mSv n’auraient pu être atteintes qu’à l’intérieur d’un rayon de 20 km, correspondant à la zone évacuée en urgence le 12 mars » indique l’IRSN. Il s’agit de doses toutes inférieures à 100 mSv par an, considérées comme faibles et à propos desquelles la dangerosité éventuelle est mal évaluée. « On ne connaît pas grand-chose. Plus on va vers des doses faibles, plus il faut des cohortes importantes » remarque Jean-René Jourdain, adjoint à la direction de la protection de l’homme au sein de l’IRSN cité par Science et Avenir.

Impossible retour

Si ces éléments et notamment la rapide évacuation des personnes résidant dans un rayon de 20 km autour de la centrale permettent aux autorités japonaises d’assurer que « les conséquences sur la santé des radiations provoquées par l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon seront bien moindres que celles engendrées par la catastrophe de Tchernobyl », d’autres motifs d’inquiétude demeurent. En effet, l’exposition à la radioactivité des populations japonaises ne résulte pas seulement du « panache » radioactif, mais également de la contamination durable de l’environnement. A cet égard, les conclusions de l’IRSN sont bien moins optimistes « La contamination initiale (…) a fortement décru. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a plus, loin s’en faut. Aujourd’hui, et pour de nombreuses années, nous sommes dans un état de contamination chronique et pérenne de l’environnement » explique ainsi le directeur de l’environnement à l’IRSN, Didier Champion cité par le Figaro. Ainsi, il indique à titre d’exemple que 81 % du césium 137 rejeté en mars dernier sera encore présent autour de Fukushima en 2020. Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’aucune des méthodes de décontamination existantes aujourd’hui (qui consistent par exemple à renouveler la terre arable) n’ont pas apporté la preuve de leur totale efficacité. Aussi, les messages des autorités qui assurent à certains des réfugiés (contraints ou volontaires) qu’ils pourront bientôt retrouver leurs villages apparaissent très prématurés, voire utopiques. « Il faudrait un travail régulier maison par maison, tuile par tuile, gouttière par gouttière » souligne le professeur Tatsuhiko Kodama du centre des radioisotopes de l’Université de Tokyo cité par les Echos qui doute de la faisabilité de l’entreprise. David Boilley, spécialiste français de la radioactivité confirme « Il va falloir avouer aux habitants que des zones sont définitivement condamnées. Il est temps qu’ils puissent commencer leur deuil ».

Une enquête sanitaire sur 2 millions de personnes

Au-delà de ce retour impossible, cette contamination pérenne pose évidemment la question de la sécurité de l’alimentation. C’est sur ce terrain que l’inquiétude des Japonais est maximum. Dans un pays qui goûte peu le militantisme, de très nombreuses associations sont ainsi nées au lendemain du séisme, qui multiplient les opérations d’auto-mesure. « Le gouvernement nous dit qu’ici tout va bien, que le sol n’est pas trop contaminé, que l’on peut donc manger les fruits et légumes, mais je n’ai plus confiance » explique par exemple une jeune mère de famille de Minamisoma, située non loin de la zone sinistrée. Le gouvernement a fini par entendre ces inquiétudes et a récemment décidé d’abaisser les niveaux de radioactivité autorisés dans les aliments. Par ailleurs, dès juin 2011 les pouvoirs publics ont mis en place un large suivi des populations potentiellement exposées à la radioactivité. Une enquête de base concerne toutes les personnes vivant dans la Préfecture de Fukushima (soit 2 millions de personnes). Par ailleurs, un bilan thyroïdien régulier est prévu pour tous les enfants de moins de 18 ans (nés avant le 1er mars 2012). Un suivi des anomalies génétiques et congénitales chez les enfants nés entre le 1er août 2010 et le 31 juillet 2011 a également été mis en place. Enfin, des « bilans médicaux spécifiques chez les personnes qui ont été évacuées des zones les plus exposées » sont organisés (ils concernent 210 000 personnes).

A ces différentes enquêtes s’ajoutent une vigilance accrue concernant les répercussions psychologiques du séisme, du tsunami et de la catastrophe nucléaire. Ces dernières ont déjà pu être constatées : le taux de suicide a ainsi augmenté de 20 % en mai 2011 et leur nombre a dépassé 30 000 en 2011. Aussi un suivi psychologique spécifique doit concerner 30 000 personnes pendant dix ans.

Omerta

Enfin, à propos du sort des liquidateurs de Fukushima, l’omerta semble perdurer. On sait que plus de 19 000 employés de Tepco et de ses sous traitants ont travaillé sur le site de Fukushima au cours de l’année écoulée. La dose moyenne reçue entre le 11 mars et le 31 décembre aurait été de 23,53 mSv pour les salariés de TEPCO (qui sont 3 368) et de 9,06 mSv pour les autres. Seuls six travailleurs auraient reçu une dose supérieure à 250 mSv. Ces chiffres sont relayés par l’INRS qui souligne le manque d’informations disponibles quant à la santé des ouvriers.

Journal International de Médecine

http://www.jim.fr/

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