« Les animaux n’écoutent pas la radio et ne lisent pas les journaux. Pourtant… »
« Les dégâts constatés après Tchernobyl sont bien réels, observe Michel Fernex »
Ci-dessous, un intéressant article de Laurence Dardenne dans « La Libre Belgique ».
Y a-t-il eu 40 ou 400000 décès à la suite de la catastrophe de Tchernobyl ? Le saurons-nous un jour ?
Selon l’origine des sources, les réponses divergent, encore et toujours, comme on a pu s’en rendre compte au colloque “Radioactivité et santé”, organisé vendredi dernier au Parlement national, à l’initiative du Groupe de réflexion et d’action pour une politique écologique. Alors que certains experts hurlent au désastre, d’autres minimisent à l’envi l’ampleur des dégâts… Sans doute la vérité doit-elle se situer entre ces deux extrêmes.
“Il y a eu un certain nombre de victimes à Tchernobyl – dont je ne discute pas les chiffres –, qui sont mortes de cancers, de pathologies cardio-vasculaires…, s’est exprimé Michel Fernex, docteur en médecine, professeur émérite de l’Université de Bâle, lors de son exposé sur l’impact de cet accident nucléaire sur les écosystèmes. Je me suis demandé où toutes ces victimes avaient disparu. Et j’ai compris qu’elles disparaissaient dans la radiophobie. […] La radiophobie est le terme réinventé il y a dix ans, pour tenter de supprimer de la mémoire des peuples toutes les anomalies ou les pathologies qu’entraîne Tchernobyl. Chacun devrait faire pénétrer dans son cerveau que ces maux sont le fruit de la peur des rayonnements et du stress causé par les informations alarmantes propagées par les médias. Tous doivent s’efforcer de croire que les invalides qui coûtent si cher à l’Ukraine sont dus à la radiophobie.”
Et d’ironiser: “La radiophobie causerait le vieillissement précoce, les cancers et les leucémies, les décompensations cardiaques chez les hommes jeunes, les maladies neuropsychiques, endocriniennes, ophtalmologiques, infectieuses ou auto-immunes comme le diabète grave du petit enfant et la maladie de Hashimoto, de même que l’augmentation des malformations congénitales et de la mortalité prénatale que les médecins sur le terrain attribuent aux radionucléides artificiels du réacteur de Tchernobyl.” Alors, lui, le médecin tout en subtilité a choisi de nous parler de “quelque chose de très terre à terre”, les animaux sauvages (sur)vivant dans les parages de Tchernobyl. “Je me suis demandé dans quelle mesure les animaux sauvages qui ne lisent pas les journaux, qui n’écoutent pas la radio et qui ne regardent pas la télévision, étaient à l’abri de la radiophobie.”
Dans un rayon de 30 kilomètres autour de la centrale détruite, existe un paradis pour ces animaux, où les humains ont été exclus, où la chasse est interdite depuis vingt-six ans, où la circulation automobile est inexistante. Dès 1986, des chercheurs russes et biélorusses ont ainsi étudié et comparé diverses espèces à 30 kilomètres du lieu de la centrale détruite, 150 kilomètres, 300 kilomètres… Si, exposés aux radiations des premiers jours après l’explosion, des rongeurs sont morts des suites du choc radiologique initial, d’autres ont survécu. Les rongeurs survivants sont devenus hypersensibles aux rayonnements artificiels, même à très faibles doses, ce qui est aussi le cas pour les enfants, notait Irina Pelevina. Pour avoir suivi les rongeurs de Tchernobyl sur 22 générations, soit de 1986 à 1996, les équipes du laboratoire de génétique du Pr Goncharova ont mis en évidence une augmentation des malformations chez les fœtus de campagnols. “Il a fallu disséquer les femelles, pour qu’on puisse comparer le génome des fœtus avec celui de l’adulte, explique Michel Fernex. C’est ainsi que la fragilité croissante, de génération en génération, a été démontrée. Les dommages génétiques constatés chez le fœtus étaient toujours supérieurs à ceux de l’adulte, et cela se répétait de génération en génération. Ces dommages sont une fragilité du génome qui se traduit surtout lors de la division cellulaire par des désordres, des ruptures, des anomalies, donc des mutations. Chose très étrange, dans les zones peu contaminées, la chercheuse a vu cette augmentation persévérer pendant dix ans, soit 20 générations. Pendant cette période, on rencontrait aussi toujours davantage de fœtus morts dans l’utérus de la femelle.”
Après les mouches drosophiles devenues résistantes ou les araignées, c’est aux hirondelles de cheminée qu’il a été fait référence pour rappeler une étude parue dans Nature en 1997. Un chercheur suédois y démontrait que ces oiseaux devaient disparaître de Tchernobyl du fait de l’irradiation. “Cette extinction de l’espèce repose sur le fait que dans la grande colonie d’hirondelles, on rencontre un nombre élevé de femelles stériles, et plus l’irradiation au sol est élevée, plus grand est le pourcentage de femelles stériles”, indiquait encore Michel Fernex, précisant que, “dans l’ensemble de la population du reste de l’Europe, il y a peut-être 0,1% des hirondelles qui ne se reproduisent pas”…
Laurence Dardenne
La Libre Belgique – lundi 5 mars 2012
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Controverse. Un an, bientôt (le 11 mars), après la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima, dont on pressent les conséquences catastrophiques pour des centaines de milliers de personnes, la controverse sur les effets des faibles doses de radioactivité et sur la validité des mesures de radioprotection était au centre d’un colloque organisé, vendredi à Bruxelles, à l’initiative du Groupe de réflexion et d’action pour une politique écologique (Grappe).
Au programme de cette journée, introduite par le député européen honoraire Paul Lannoye, docteur en sciences physiques, il fut notamment question de la catastrophe de Tchernobyl et de son impact dans notre pays. Pour le Dr Luc Michel, professeur à l’UCL, chirurgien et endocrinologue, l’augmentation du nombre de cancers de la thyroïde et des pathologies thyroïdiennes en général – survenus chez des personnes très jeunes à l’époque de la catastrophe de Tchernobyl – est un fait, qu’il convient de mettre en lien avec la contamination par l’iode131 liée à l’accident nucléaire en question et qu’il s’agit de souligner. Le chirurgien livre le nombre anormalement élevé d’interventions réalisées dans son service. Soit, entre avril 1986 et décembre 1999: 1000 thyroïdectomies (intervention chirurgicale pratiquée pour enlever un des deux lobes de la glande thyroïde) chez des adultes et 62 cancers papillaires, en l’occurrence qui peuvent être radio-induits, 18 thyroïdectomies et 4 cancers papillaires chez des enfants ou jeunes adolescents. Dans la décennie qui suit (2000-2009): un millier de thyroïdectomies et 90 cancers papillaires chez des patients de plus de 15 ans en 1986. “Le nuage radioactif est arrivé à Arlon le 1er mai 1986 à 6 heures du matin, rappelle le médecin belge. Ce jour-là, il fait beau et de nombreux enfants jouent dans les bacs à sable…” Et de citer, par ailleurs, un article tout récent publié en ligne faisant apparaître un nombre de leucémies infantiles deux fois plus élevé autour des centrales nucléaires, d’après une étude de l’Inserm, portant sur 10 centrales.
Laurence Dardenne
La Libre Belgique – lundi 5 mars 2012
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