Un article de Michel Philips dans Médiapart à propos du livre “Chernobyl : Consequences of the catastrophe for people and the environment” publié par l’Académie des sciences de New York.
Vingt cinq ans après Tchernobyl, bien des conséquences de la catastrophe restent encore dans l’ombre.
C’est l’honneur du docteur Yablokov que de nous proposer dans un livre le fruit de la consultation de milliers de documents scientifiques, rassemblés en un ouvrage de synthèse.
Le Dr Alexey Yablokov a été conseiller pour l’environnement de Mrs Eltsine et Gorbatchev.
J’écris “honneur” car le Dr Yablokov s’oppose sur bien des points aux positions officielles (OMS et AIEA). Voir plus loin*.
Son livre (400 pages) constitue le plus complet panorama critique des publications médicales et biologiques consacrées aux conséquences de la catastrophe de Tchernobyl sur les habitants et concernant la nature dans les territoires contaminés par les retombées radioactives.
La liste des documents consultés s’élève à 1000 et il a utilisé en tout plus de 5 000 articles publiés.
Je me suis interrogé sur l’utilisation de cette photo de couverture : je pense qu’il s’agit de mettre en évidence de façon éclatante “l’avant” et “l’après” au niveau du vivant, dans la région de Tchernobyl.
Difficultés techniques, administratives et politiques
Parmi les causes qui rendent difficile l’évaluation de l’influence de la catastrophe de Tchernobyl sur la santé de la population, le Dr Yablokov cite :
- le caractère secret et la falsification officielle définitive des données statistiques médicales en URSS pendant les premières années qui ont suivi la catastrophe. “Les autorités de l’URSS ont officiellement interdit aux médecins de relier les maladies avec le rayonnement et toutes les données ont été classifiées ”.
- l’absence, dans l’Union Soviétique de l’époque, comprenant l’Ukraine et la Biélorussie, de statistiques médicales détaillées et fiables,
- la difficulté de déterminer la charge radioactive réelle pour chaque individu en raison de la nécessité de reconstruire les doses individuelles dès les premiers jours, semaines et mois après la catastrophe,
- l’insuffisance des connaissances actuelles de la spécificité de l’action même des principaux radionucléides pourvoyeurs de doses dans leur combinaison avec d’autres facteurs de l’environnement,
- de la variabilité de la radiosensibilité collective et individuelle,
- de l’influence des doses ultra faibles et de la puissance des doses,
- de l’influence de l’irradiation interne (incorporée).
Considérations générales sur les effets de Tchernobyl
Une conférence scientifique s’est unanimement ralliée à la conclusion que “la contamination d’énormes territoires par les radionucléides s’accompagne de conséquences sanitaires négatives nettement manifestées et par des risques de maladies radio induites clairement prévisibles pour les années à venir dans les pays d’Europe”.
On peut supposer que les doses d’irradiation n’ont jamais été évaluées convenablement, surtout pendant la première année qui a suivi l’accident.
Par exemple, dans le livret militaire de pas un seul ( !) des 60 000 militaires en service, au titre de “liquidateurs” et qui ont participé aux travaux de lutte contre la radio-activité, il n’a pas été enregistré un seul dépassement de la norme de 25 röntgens, alors en vigueur !!
Le rejet du seul réacteur a provoqué une contamination cent fois supérieure à la contamination due aux bombes lâchées sur Hiroshima et Nagasaki.
Par ses dimensions et ses conséquences l’explosion du 4ème bloc de la centrale d’énergie atomique de Tchernobyl constitue la plus grande catastrophe technologique de l’histoire.
Les effets de Tchernobyl démontrent que “même le plus petit excès de rayonnement au dessus du niveau de fond naturel affectera statistiquement la santé des personnes exposées ou leurs descendants, tôt ou tard”.
Le terrible inventaire à la Prévert
Les retombées des nuages de Tchernobyl ont couvert des territoires où vivent au moins trois milliards de personnes. Tchernobyl a touché une grande partie de notre planète (1/3 ?).
A l’échelon planétaire
Sur la Terre, on peut considérer que près de 400 millions d’habitants ont subi les retombées de Tchernobyl. Eux-mêmes et leurs descendants éprouvent les conséquences négatives de l’irradiation ionisante.
On peut supposer que la mortalité “tchernobylienne” totale pendant la période 1987-2004 a concerné près de 823 000 personnes dans le monde entier. Près d’un million de morts.
Le chiffre de la mortalité prénatale provoquée dans le monde par l’irradiation de Tchernobyl, peut être estimé à 200 000 cas.
Pour Kofi Annan, ex-secrétaire de l’ONU : “On ne connaîtra peut être jamais le nombre exact de victimes. Trois millions d’enfants nécessitent des soins”.
Avec le temps on assiste à une augmentation des cas de cancers à l’évolution plus lente, comme le cancer du sein ou des poumons.
Près de 1 500 000 personnes risquent des troubles de la glande thyroïde. Des anomalies génétiques font également partie des troubles retrouvés dans les populations.
“Les pools génétiques des êtres vivants sont activement transformés, avec des conséquences imprévisibles. Il semble que l’irradiation ait réveillé des gènes qui ont été silencieux sur une longue période évolutive. Les dégâts vont se jouer sur des générations – au moins sept générations.”
Dans différents pays
- Dans l’Orégon (USA), les gens ont été avertis de ne pas boire l’eau de pluie “pendant quelque temps”.
- Au Connecticut (USA), dans les six années suivant l’accident, le nombre de cancers de la thyroïde a doublé.
- En Grande-Bretagne, 369 exploitations agricoles sont restées contaminées 23 ans après la catastrophe.
- En Allemagne, une analyse, effectuée sur 6 000 enfants par l’organisation internationale des “Médecins pour la Prévention de la Guerre Nucléaire” a montré que les dents des enfants nés après la catastrophe (comparés avec les dents des enfants nés en 1983) avaient 10 fois plus de strontium-90.
Le gouvernement allemand compense les chasseurs de sangliers dont la viande est trop contaminée pour être mangée. Il a dépensé quatre fois plus dans la rémunération des sociétés de chasse à la suite de Tchernobyl. - En France, le service sanitaire du département des Vosges a découvert qu’un petit sanglier, abattu par un chasseur local, « brillait ». Les experts ont donné une information plus inquiétante : pratiquement toute la zone d’où venait l’animal était contaminée.
Le niveau de la radioactivité s’élevait à 12000 – 24000 becquerels au mètre carré. A titre de comparaison : la norme européenne est de 600 becquerels. Le niveau du césium-137 des chanterelles et des bolets dépassait la norme d’environ quarante fois.
Le nombre total de personnes atteintes du cancer de la thyroïde pendant la période 1986-2002 dans le Midi de la France (dont la Corse) s’élevait à 1 500 cas selon les médias et les ONG. - En Biélorussie, en Ukraine et en Russie, au bout de 20 ans, il est devenu clair que pas moins de 8 millions d’habitants ont pâti de la catastrophe de Tchernobyl.
Pendant la période 1990-2000, la fréquence de toutes les affections cancéreuses a augmenté de 40% en Biélorussie.
On relève un large éventail de troubles et maladies non cancéreuses : ulcères, maladies pulmonaires chroniques, diabète sucré, problèmes oculaires, retard mental sévère chez les enfants, et une plus grande incidence et sévérité accrue des maladies infectieuses et virales.
Chaque système est affecté : cardiovasculaire, reproducteur, nerveux, hormonal, respiratoire, gastro-intestinal, musculo-squelettique, et immunitaire. - A Kiev (Ukraine), où il y avait 90% d’enfants en bonne santé avant l’accident, leur pourcentage a diminué au cours des années qui ont suivi. Aujourd’hui, seul 20% des enfants sont encore considérés comme étant en bonne santé. Les 80% des enfants restants ne sont pas en bonne santé.
“Partout où il y a eu une contamination radioactive, il y a eu une augmentation du nombre d’enfants avec des anomalies héréditaires et des malformations congénitales.”
“Celles-ci incluent des déficiences structurelles multiples, rares antérieurement, des membres, de la tête et du corps, des défauts de naissance dévastateurs, en particulier chez les enfants des liquidateurs.”
“La corrélation avec l’exposition à la radioactivité est si prononcée qu’elle est, non plus une hypothèse, mais une certitude .”
En Biélorussie, la teneur du sang en plomb des enfants et des adultes a sensiblement augmenté au cours des dernières années. Ce métal a été employé à hautes doses comme neutralisant de la radio-activité…mais il est très stable, se retrouve partout et notamment dans l’eau de boisson. (Le Saturnisme est responsable de troubles graves, dont des retards mentaux).
Un “bouquet” de maladies propres aux personnes d’âge avancé est une caractéristique des enfants vivant dans les territoires de la Biélorussie, fortement contaminés par les retombées de Tchernobyl.
Idem chez les “liquidateurs”. Des processus de vieillissement précoce sont retrouvés. Ces signes de vieillissement précoce apparaissent chez les liquidateurs 10 à 15 ans plus tôt que dans la moyenne de la population. L’âge biologique des liquidateurs surpasse celui de leur état civil de 5 à 15 ans.
La fréquence des maladies broncho-pulmonaires chroniques est en rapide augmentation dans les territoires atteints et parmi les liquidateurs.
Selon les données de “Union Tchernobyl”, sur 244 700 liquidateurs venus de Russie, pas moins de 31 700 (env. 13%) sont morts en 2005.
Des médecins ont rencontré des pathologies plus sérieuses. Généralement, le cycle menstruel commence chez les filles à l’âge de 12-13 ans. Pas une des 300 filles examinées en Biélorussie n’avait les menstruations. Les données échographiques ont montré de même que leurs organes internes – utérus, ovaires – étaient insuffisamment développés.
Ailleurs, un médecin se souvient : “Dans un village nous avons découvert douze vieilles femmes lactantes. Des femmes de 70 ans avaient du lait dans les seins, comme les accouchées.”
Ce n’est qu’après l’an 2000 que la médecine officielle a commencé à reconnaître que l’augmentation des cas de cataracte partout dans les territoires de Tchernobyl, parmi les évacués et les liquidateurs sont d’origine radiologique.
Il a fallu attendre 10 ans pour que les médecins commencent à donner l’alarme à ce sujet.
Cette liste n’est pas exhaustive. J’ai fait le choix de ne vous proposer aucune image : elles sont insoutenables.
Et maintenant
Les parallèles entre Tchernobyl et Hiroshima sont frappants:
- la collecte des données a été retardée,
- les informations sont dissimulées,
- les rapports d’observateurs sur place sont discrédités,
- des scientifiques indépendants se sont vus refuser l’accès aux données .
La quantité croissante des données objectives sur les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl ne donne pas de raisons d’être optimiste : en l’absence d’importants programmes spéciaux au niveau national et international, la morbidité (nombre de personnes atteintes) dans les territoires contaminés continuera à augmenter.
Du point de vue de la morale humaine, on ne comprend pas comment des spécialistes liés à l’industrie atomique peuvent lancer un appel comme : “Il est temps d’oublier Tchernobyl”.
Le comportement de l’AIEA et d’autres organisations liées à l’industrie atomique ne favorise pas la formation d’une politique responsable et efficace. Au contraire, elle est pour la minimisation des conséquences de la catastrophe ainsi que l’aide à ses victimes.
Cette politique internationale et nationale devrait être fondée sur le principe :
“Nous ne pouvons pas oublier Tchernobyl, nous ne devons pas minimiser les conséquences de cette terrible catastrophe.”
Mon article a été rédigé à partir d’une “traduction-résumé” de 47 pages.
Pour ne pas rallonger outre mesure, je n’ai pas repris ce qui concerne les animaux et l’environnement.
Pour lire, télécharger ou acheter « Chernobyl : Consequences of the catastrophe for people and the environment », c’est « Ici »
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*Rappelons que les informations sur Tchernobyl proposées par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) sont entachées de suspicion..
En effet, une clause de “protection” lie l’OMS et l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique).
Par cette clause l’OMS s’engage à ne jamais se retrouver en contradiction avec l’AIEA ! Une façon d’être à la botte de cette dernière.
Sous l’influence des apologistes de l’énergie atomique, il a été décidé de classer “top secret” les données sur les valeurs véritables des rejets radioactifs et des doses d’irradiation, et d’occulter les informations sur la morbidité grandissante des populations directement ou indirectement touchées par Tchernobyl.
Par exemple, en septembre 2005, l’Agence Internationale de l’énergie atomique (AIEA) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un rapport largement annoncé “Forum de Tchernobyl”, signale que : “Les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl ne sont pas si graves que cela. Il faut seulement organiser au mieux la vie dans les territoires contaminés et oublier Tchernobyl”, “4000 décès seront probablement attribuables à l’accident en fin de compte.”