À 7H 30, le 26 avril 2007, Wladimir, Thérèse et moi, nous descendons du bus devant l’entrée principale de l’OMS. Nous portons sur le buste les slogans qui accusent l’Organisation Mondiale de la Santé d’être complice du crime de non assistance aux populations touchées par Tchernobyl. Nous nous plantons devant l’entrée, silencieux, immobiles. Nous sommes filmés par un caméraman de la télé suisse de Lugano. Les employés qui arrivent sont manifestement très surpris. Vers 9H, un policier se pointe. Il nous dit que nous ne sommes pas autorisés à demeurer là, que nous sommes sur un terrain privé. Nous lui répondons que nous avons préalablement adressé une lettre à la direction et qu’aucun refus ne nous a été signifié. Le policier repart avec ces informations et va rejoindre le chef de la sécurité. Quelque temps après, ils reviennent ensemble. Le chef de la sécurité nous dit ne pas avoir reçu de lettre. “Nous vous en avons bien adressé une, voici la copie.” Palabres. “Je vous répète que vous n’avez pas d’autorisation, vous êtes sur un terrain privé, il faut vous en aller.” “Nous sommes silencieux et immobiles, nous ne posons aucun problème de sécurité, notre présence ne vous concerne pas, nous voulons avoir à faire à la direction.” Palabres et repalabres.
“Si la direction ne peut nous recevoir, qu’elle nous fasse un courrier.” concluons-nous. Là dessus, le policier plutôt diplomate nous consent un délai jusqu’à 13h et il repart en compagnie du chef de la sécurité. Ce dernier emporte la copie de la lettre qu’il dit ne pas avoir reçue
Pendant ces tractations, François Gillard, Rolande Coquard ainsi que 3 personnes venues de Grêce nous ont rejoint et portent à leur tour les pancartes. Wladimir, lui, doit nous quitter pour se rendre à la conférence de presse fixée à 11 heures. Nous nous disons que la direction de l’OMS ne doit pas avoir très envie de porter la responsabilité politique d’une évacuation musclée (devant caméras) de personnes qui l’accusent de complicité de crime mais nous n’ignorons pas pour autant ce que encourons. Tarif suisse : 24 heures de garde à vue et amende qui pourrait s’élever à 300 euros par personne. Pour réchauffer l’ambiance, deux fourgons grillagés de policiers font leur apparition. Ils passent au bout de nos chaussures, font un petit tour et finalement se garent à 150 mètres de là, à la limite du territoire de l’OMS. Dans l’instant, leur mission est de barrer la route à une quarantaine de manifestants rassemblés sur la place des Nations qui, à 12 h, doivent se mettre en marche vers l’OMS, bandeau sur la bouche, pancartes brandies.
En ce jour anniversaire de l’accident de Tchernobyl, les militants de Contratom sont là aussi pour dénoncer l’accord OMS/AIEA. Fait marquant, c’est la première fois que la dite OMS utilise la force publique pour empêcher que la contestation pénètre sur son territoire. Une pareille mobilisation policière n’est habituellement réservée qu’à l’ambassade US. L’arrivée des fourgons de police nous “prépare” un peu mieux à l’idée d’une évacuation, passé le terme des 13 heures accordé par le policier. Nous nous disons qu’il est préférable d’internationaliser l’évènement s’il doit se produire et de réduire les “évacués” au nombre de 3. Ainsi convenons-nous de demander à Wladimir (italien) de revenir dès la fin de la conférence et à Thanassis (grec) de quitter les manifestants qui montent de la place des Nations afin de me rejoindre également. Je vois le cadran de l’horloge au travers des vitres de l’OMS afficher 12h45, je me dis qu’il n’y a plus qu’un quart d’heure et je me fabrique des images sur ce que pourra être mon logement des prochaines 24 heures.
Les forces de police sont pour le moment occupées à barrer la route aux manifestants montés de la place des Nations. L’ambiance est tendue, ça discute ferme. Certaines personnes du groupe organisateur veulent maintenir le piquet devant la porte de l’OMS jusqu’à l’évacuation par la police. D’autres, par contre, pensent qu’à durcir ainsi l’action, il y a un risque de la faire tourner court et le but c’est justement de durer. Après d’âpres discussions, l’option de lever le pied est finalement prise, pas pour une déroute, juste un petit repli pour se placer à 50 mètres du bâtiment à la limite du territoire de l’OMS. Le chef de la police s’engage à donner un avis favorable à notre présence en ce lieu. André Larivière s’installe aussitôt en première vigie. Paul Roullaud
Le projet initial
Les ONG promotrices envisagées de commencer l’action le 6 novembre 2006, mais la mort subite du directeur général de l’OMS, M.Lee, et la nomination du nouveau directeur, qui devait avoir lieu précisément le 6 novembre, fut un motif suffisant pour renoncer. Toutefois au cours d’un colloque avec le chef du service de Sécurité de l’OMS, M. Yann Stephan, celui-ci nous suggéra de reporter l’action au printemps. Un point important était donc acquis : ce fonctionnaire, dont l’avis préalable était nécessaire, ne voyait aucune objection du point de vue de la sécurité. Mais, il nous avertit cependant que c’était la direction de l’OMS qui en dernière instance décidait de nous autoriser à rester sur le terre-plein devant l’entrée ou pas. L’acceptation ou le refus auraient donc une signification essentiellement politique, aucun autre motif ne subsistant. En effet dans la lettre que nous avons adressée à M. Stephan le 10 avril, lui annonçant le début de l’action pour le 26, nous avons réitéré que :
“ … l’action, qui concerne l’accord de 1959 entre l’AIEA et l’OMS, sera incarnée par la simple présence d’une à trois personnes au maximum, appuyées par un groupe à proximité, sans table, sans tente et sans mégaphone. Cette présence se fera de manière non-violente, dans le respect du lieu, des employés et des visiteurs de l’OMS. La durée de cette action se trouvera déterminée par l’écoute qui sera accordée à notre requête. Elle sera assurée par des personnes bénévoles, de 8 heures du matin à 18 heures, face au bâtiment principal, sur le terre-plein central situé entre les 2 routes permettant aux véhicules d’accèder et de repartir de l’OMS. Nous avons choisi comme emplacement le terre-plein central afin d’être certains de ne causer ni gêne ni danger pour la circulation. […] N’ayant d’autre volonté que d’utiliser notre droit d’expression, nous n’imaginons pas qu’une institution internationale telle que l’OMS puisse refuser notre présence devant ses murs. Dans l’attente d’une réponse favorable de votre part, veuillez recevoir nos sincères salutations.”
C’était donc à la Direction de se prononcer. Mais nous n’avons eu de réponse ni de M. Stephan, dont nous ignorions qu’entre-temps il avait été licencié, ni de Madame Chan, qui était toujours à son poste. Pour nous, “qui ne dit mot consent”.
A 11 h 40, le capitaine Pasquier et le Chef de la sécurité reviennent vers les vigies.
Capitaine Pasquier : « Alors voilà la situation. Ils ont contrôlé. Effectivement il n’y a pas de lettre de réponse préparée pour vous. Je pense qu’elle s’est égarée dans les méandres des procédures, – ils vous laissent jusqu’à la fin de la manifestation. Vous pouvez rester ici, aujourd’hui, jusqu’à la fin de la manifestation, c’est-à-dire jusqu’à 13 heures. D’ici là, ils vous remettront une lettre en réponse à celle que vous leur avez écrite. Je ne connais pas la totalité du contenu, mais en substance ils ne désirent pas que vous reveniez ici faire votre manifestation. Donc voilà. Ils vous remettront une copie à vous ici, avant 13 heures, et ils enverront l’original à l’adresse de la personne responsable. Ils tolèrent que vous restiez jusqu’à la fin de la manifestation, parce que vous n’avez pas reçu de réponse officielle. »
Le capitaine Pasquier, dont le comportement, compréhensif mais ferme, était empreint de patience et de réalisme, nous a offert la solution pour laquelle il était prêt à donner son avis favorable au Département des institutions du Canton de Genève. Plusieurs fois pendant la matinée, connaissant nos droits, il nous a répété aux moments de tension “je veux que tout se passe bien”. Sa solution impliquait évidemment pour nous de renoncer au face-à-face avec la façade principale de l’OMS. Nous nous y trouvions à proximité immédiate des employés, qui, en descendant du bus et en émergeant des parkings souterrains sur le terre-plein, passaient à nos côtés pour se diriger vers l’entrée. Pasquier nous a proposé l’emplacement 300 mètres plus bas, hors du territoire interdit, sous les arbres sur le trottoir d’angle à proximité immédiate de la limite de la propriété. De ce trottoir, on voit le flanc ouest du grand parallélépipède rectangle du bâtiment mais pas la façade, et nous ne sommes pas vus des fenêtres. Cette solution nous a semblé une défaite : nous perdions le contact avec le personnel. En réalité cette impression était une erreur, cet emplacement s’est avéré en fait un point stratégique, le meilleur endroit pour notre action. En effet, sur le terre-plein, à la vue des fenêtres de tous les étages, très peu d’employés s’arrêtaient pour nous interroger. Par contre, à l’angle de la rue Appia / route des Morillons ils sont libres, certains viennent à pied nous poser des questions, prendre de la documentation écrite, on nous photographie, quelqu’un apporte du café et à manger. À certaines heures, la circulation automobile est intense avec beaucoup de voitures des ambassades. En lisant les slogans ”Crime de Tchernobyl”, “OMS complice”, “OMS, 21 ans de silence et de mensonges”, “Amender l’accord entre l’OMS et l’AIEA”, – certains occupants des voitures, qui s’arrêtent au carrefour pour laisser passer celles qui ont la priorité, nous font des signes d’encouragement et d’adhésion le pouce levé. Les conducteurs d’autobus également. Une brèche humaine s’ouvre à notre surprise dans une bureaucratie et un fonctionnement totalement étanches à la tragédie des territoires contaminés de Tchernobyl. Wladimir Tchertkoff
“Devant l’entrée principale de l’O.M.S. au matin du 26 Avril 2007, en ce jour anniversaire de l’accident de Tchernobyl, me voici quelque peu émue, dans mon rôle de vigie. Le moment est grave, ma pensée s’envole vers les territoires contaminés, en moi un mélange de colère, de fragilité et beaucoup de détermination à sièger ici : Ma colère vis à vis de l’O.M.S : 500.000 enfants au Bélarus, malades, souffrants. Sans parler des liquidateurs, tous abandonnés à leur sort, par cette organisation. Ma fragilité devant cet immense bâtiment de l’O.M.S. Comment toucher ces décideurs ? (le sont-ils encore !) Ces protecteurs de la santé humaine (normalement), qui minimisent voire nient les faits. Mais en moi surtout une grande détermination, côute que côute dire la réalité des enfants malades. (cf le livre de Wladimir Tchertkoff, « Le Crime de Tchernobyl », valeur sûre dans mon sac à dos ). Être un maillon de cette chaîne de vigies, naissante; résister, informer jour après jour et qui sait ?… En tous cas, je porte ici humblement la voix des ENFANTS et de ce peuple oublié de Tchernobyl.” Thérèse Raitière
Qui a peur des enfants de Tchernobyl ?
Nous avons écrit à Madame Margaret Chan, Directrice générale de l’OMS, récemment nommée à ce poste de haute responsabilité. Nous lui avons demandé de nous soutenir dans notre requête d’amender l’accord OMS/AIEA, afin que l’OMS s’affranchisse de l’assujettissement à l’agence promotrice de l’atome et prenne les mesures nécessaires pour venir en aide aux enfants contaminés depuis 21 ans par les radioéléments expulsés de la centrale de Tchernobyl en feu. Pour toute réponse Madame Chan a appelé la police.
À titre de prologue de cette reconstruction des événements du 26 avril de Genève, voici le résumé des réflexions échangées entre les organisateurs de cette action :
“Nous tablons sur la bonne foi scientifique des travailleurs de l’Organisation Mondiale de la Santé, qui, en tant qu’organisation mondiale, est notre organisation. Nous proposons à son personnel une conférence d’information sur un argument controversé, qui met en question la crédibilité de l’organisme où ils travaillent. Il faut que ces personnes sachent, et que l’opinion publique sache, que nous prenons leur travail au sérieux et ne doutons pas un instant de leur honnêteté intellectuelle. Nous avons décidé d’assiéger pacifiquement, – sur le plan moral, scientifique, déontologique – la direction de cet organisme, qui appartient à tous. L’OMS n’est la propriété privée de personne, quoi qu’en disent le service de sécurité et la police, qui, sur ordre de la direction, – elle s’est déchargée sur eux de sa responsabilité politique de réponse, – nous ont chassés de son territoire en nous obligeant à rétrocéder hors des remparts (juridiques) du bastion. L’intéressant dialogue filmé que nous avons eu avec ces deux fonctionnaires, qui nous ont respectés et se sont acquittés avec un professionnalisme exemplaire d’une tâche ingrate, est éclairant.” Wladimir Tchertkoff
Conférence de presse à l’ONU de 10 h à 11 h le 26 avril 2007
Les intervenants sont présentés par Philippe de Rougemont responsable des médias pour le collectif “OMS indépendante” et organisateur de la conférence à l’ONU. Il expose les enjeux de l’action de longue durée initiée le 26 avril 2007, jour du 21e anniversaire de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl : obtenir l’amendement de l’accord de 1959, qui soumet l’OMS à l’autorité de l’AIEA et démasquer le rôle scandaleux de cette organisation après l’accident de Tchernobyl : en acceptant des chiffres fallacieux, l’OMS cautionne le maintien de millions de personnes dans des régions hautement contaminées, sans suivi sanitaire. La rencontre avec les journalistes commence par la projection d’un extrait du film “Controverses nucléaires“, diffusé par les télévisions suisses du Tessin et de la Suisse alémanique et du Canada, où l’on voit M. Hiroshi Nakajima, ancien directeur général de l’OMS, déclarer que la conférence organisée par lui à Genève en 1995 sur les conséquences médicales de Tchernobyl a été censurée par l’AIEA.
Gino Nibbio, de Contratom, reconstruit les étapes précédentes de l’action de l’ONG suisse pour obtenir l’amendement de l’Accord de 1959.
Wladimir Tchertkoff, réalisateur du film et auteur de “Crime de Tchernobyl, le Goulag nucléaire” (Actes Sud, 2006), décrit la stratégie de l’ignorance des agences de l’ONU, qui par un subterfuge pseudo scientifique occultent la véritable dimension de la catastrophe et les conséquences sanitaires effarantes en regard des chiffres ridicules qu’elles publient. Il raconte aussi les blocages et embûches subis par les scientifiques biélorusses de la part “d’experts” occidentaux, lorsqu’ils étudient les conséquences de l’accident ou lorsqu’ils aident les populations à se protéger et à se soigner.
Roland Desbordes, Président la CRIIRAD, informe sur le projet de laboratoire de recherche indépendant que la CRIIRAD souhaite organiser avec des scientifiques en Biélorussie, ainsi que sur les dossiers où l’AIEA a pris la place revenant à l’OMS ou à d’autres agences de l’ONU comme le PNUE : rapport sur la situation à Mururoa après les essais nucléaires de 1995, l’Uranium Appauvri au Kosovo, Irak et Afghanistan.
Luc Recordon, avocat, physicien et parlementaire fédéral s’exprime sur l’aspect légal de la campagne et le déroulement d’événements menant à la modification ou à l’abrogation de l’accord de 1959 entre l’AIEA et l’OMS.
Parmi les journalistes présents, peu nombreux à cause semble-t-il de la présence à Genève du Président Palestinien Mahmoud Abbas, on peut citer les correspondants de The Nation (USA), Radio Pacifica (USA), RTBF (Belgique) venu exprès de Bruxelles, une correspondante d’une agence Moldave, RTSI (TV du Tessin), Le Courrier (Suisse) et pour la Suisse romande une journaliste du Matin Bleu, journal gratuit que tout le monde lit. Le journaliste de la radio belge a cherché en vain, à plusieurs reprises, d’obtenir téléphoniquement une réaction de l’OMS, qui niait obstinément qu’il y eût une manifestation devant ses portes. “Mais, ils sont là, je vous assure. Je me trouve parmi eux… ”.
Haut de page