A son retour du Japon, le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à la santé a confirmé que le gouvernement nippon avait négligé la radioprotection de la population. Pendant ce temps, l’OMS continue à sous-estimer les problèmes sanitaires consécutifs à l’accident nucléaire. Eclairage.
Deux ans après la catastrophe de Fukushima, l’OMS écoutera t-elle le rapporteur spécial des Nations Unies ? Des associations citoyennes japonaises ont fait état des violations du droit à la santé des populations à Fukushima dès les premiers mois qui ont suivi l’accident de la centrale nucléaire, survenu le 11 mars 2011. Cependant, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) persiste à minimiser les risques sanitaires, malgré des rapports de scientifiques indépendants, de professionnels de la santé et d’associations citoyennes relatifs à de hauts niveaux de contamination, une radioprotection inadéquate et de signes précurseurs de problèmes sanitaires graves. Le rapporteur spécial sur le droit à la santé des Nations Unies, M. Anand Grover, a fait une déclaration forte suite à sa visite aux zones affectées, en novembre 2012.
Dans les jours qui ont suivi l’accident nucléaire, et sans aucun élément d’information, l’OMS a affirmé qu’«en ce moment, il y a très peu de risques pour la santé publique en dehors de la zone évacuée de 30 km». Par contraste, des chercheurs indépendants (1) ont déclaré – sur la base de la composition des émissions – qu’il y avait eu fusion des cœurs des réacteurs avec contamination radioactive massive. Ils avaient raison, évidemment, comme la compagnie d’exploitation Tepco et le gouvernement japonais ont dû l’admettre quelques semaines plus tard – mais trop tard pour éviter les dégâts. Deux ans ont passé, et malgré la disponibilité d’énormes quantités d’informations, l’OMS n’a émis aucun correctif à ces affirmations initiales. Au contraire, elle vient de publier une «Evaluation des risques sanitaires» (2) qui nie toute conséquence sanitaire, mise à part une légère augmentation du risque de développer certains cancers pour les populations des zones les plus touchées. Le rapport base ses conclusions sur les «Estimations préliminaires des doses»(3) publiées par l’OMS, mais écrites par des «experts» de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), du Comité scientifique de l’ONU sur les conséquences des émissions radioactives (UNSCEAR) et des autorités nucléaires nationales, c’est-à-dire le lobby nucléaire. Ces estimations font état avec légèreté de niveaux de radioactivité dans la préfecture de Fukushima de plus de 1-10 mSv/an et même de 10-50 mSv/an sans expliquer que ceux-ci sont 10 à 50 fois plus élevés que la limite (1 mSv/an) établie par la Commission internationale de la protection radiologique (CIPR).
En mai 2011, M. Rémy Pagani, le maire de Genève, faisait remarquer à Mme Margaret Chan, directrice générale de l’OMS, que si son organisation persistait dans son rôle de subordination à l’Agence internationale de l’énergie atomique – dont une partie du mandat est la promotion de l’utilisation de l’atome – elle serait totalement discréditée.
Malgré une large reconnaissance des ses liens malsains avec le lobby nucléaire, l’OMS poursuit sa complicité criminelle en dissimulant les conséquences sanitaires des activités nucléaires. Aujourd’hui, l’abdication de l’OMS face à ses responsabilités dans le domaine des radiations et de la santé est totale – tout comme son discrédit. En décembre 2012, le directeur de l’UNSCEAR, M. Wolfgang Weiss, a affirmé (4) qu’«aucun effet des rayonnements n’a été observé au Japon parmi le public, les employés ou les enfants autour du réacteur de Fukushima-Daichi». Cette affirmation est fausse et grossièrement trompeuse.
D’abord, jusqu’à 35% des enfants de Fukushima ont déjà développé des kystes et des nodules de la glande thyroïde. Les anomalies de la thyroïde sont des manifestations précoces de conséquences sanitaires graves – comme nous le savons depuis Tchernobyl. Ensuite, étant donnée la période de latence de dix à vingt ans pour les maladies liées aux rayonnements, en particulier les cancers, il ne fait aucun sens de faire des rapports sur ce qu’on observe actuellement. Aussi trompeuses qu’elles soient, ces affirmations fournissent des fausses assurances aux gouvernements et au public.
La CRIIRAD(5) constate une contamination au sol dans les zones d’évacuation planifiée (au delà de la zone interdite de 20 km) qui implique des expositions excédant les 20 mSv/an.(6) Ceci correspond à un risque de cancer qui est vingt fois plus élevé que le niveau jugé «acceptable» par la CIPR. Des centaines de milliers de personnes ont été exposées à des niveaux de rayonnements inacceptables en 2012, comme elles l’avaient été en 2011.
Dans une lettre au rapporteur spécial sur le droit à la santé, l’ACSIR(7) fait état de niveaux terrifiants de radioactivité à Fukushima, Koriyama et Date – villes pourtant situées dans des lieux désignés comme zones sûres! A Date, le Dr Nesterenko de l’Institut Belrad a mesuré 88 mSv/an et 237 mSv/an – l’équivalent de la zone d’exclusion en Ukraine en 1991.
Le Centre de technologie agricole de Fukushima fait état d’une augmentation de la radioactivité dans les légumes de 0 Bq/kg à 3421 Bq/kg (la limite admissible est 100 Bq/kg) en six jours d’exposition à la poussière de l’air.(8) Ceci donne une idée de la contamination à laquelle les écoliers du quartier sont soumis. Les remarques initiales(9) faites par le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à la santé Anand Grover, suite à sa visite au Japon, confirment que le gouvernement a négligé de façon volontaire et peut-être criminelle la radioprotection de la population. M. Grover observe par exemple que le gouvernement:
– n’a pas fourni d’instructions ni distribué d’iode stable à la population affectée;
– n’a pas rendu publiques les informations essentielles de SPEEDI [système informatisé de prévision des informations d’urgences environnementales, ndlr], ce qui aurait assuré une évacuation sûre;
– a utilisé une dose de 20 mSv/an pour déterminer les zones d’évacuation, ce qui représente 20 fois la norme internationale.
– a installé des stations de mesure de radioactivité qui donnent des niveaux artificiellement bas;
– réalise une enquête sanitaire trop étroite, qui ignore l’évidence que le cancer et les autres maladies peuvent survenir en lien avec des doses d’irradiation chronique interne à faibles doses, en dessous de 100 mSv;
– empêche l’accès aux dossiers médicaux des enfants ayant des anomalies de la thyroïde;
Dans une réunion précédente, en mai 2011, le Dr Chan a demandé spécifiquement au Collectif IndependentWHO (IWHO) de lui fournir des informations indépendantes émanant des réseaux alternatifs. C’est dans ce sens donc qu’IWHO a demandé que le Dr Chan, directrice générale de l’OMS, organise une réunion avec des associations japonaises citoyennes, en présence de M. Anand Grover, rapporteur spécial sur le droit à la santé, avant la prochaine Assemblée mondiale de la santé en mai 2013. Etant donnée la totale abdication de l’OMS de ses responsabilités au sujet des radiations et de la santé, il importe finalement peu que le Dr Chan écoute ou non les mouvements citoyens ou le rapporteur spécial. La vérité finit toujours par se savoir. Le peuple japonais a dénoncé les mensonges officiels et la désinformation depuis les premières semaines de la catastrophe et continuera à agir ainsi au cours des prochaines décennies. Dans dix à vingt ans, la tragédie de la catastrophe de santé en cours sera évidente pour tous.
Alison Katz – Membre du People’s Health Movement et de IndependentWHO.
Article publié le 25 mars 2013 dans Le Courrier – Genève
(1) Tel que Fairewinds.
(2) Health Risk Assessment from the nuclear accident after the 2011 Great East Japan Earthquake and Tsunami. WHO, 2013.
(3) Preliminary dose estimations from the nuclear accident after the 2011 Great East Japan Earthquake and Tsunami. WHO, 2012.
(4) Weiss, Wolfgang. Preparing a scientific report to the General Assembly on exposures due to nuclear accident following the Great East Japan earthquake and tsunami. J. Radiol. Prot. 32 N113.
(5) Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité. Communiqués de presse des 5 et 11 décembre 2012.
(6) 1 mSv/an est la limite permise pour des adultes, établie par le CIPR.
(7) Association de citoyens et scientifiques concernés par l’irradiation interne, lettre du 8. novembre 2012.
(8) Centre de technologie agricole de Fukushima.