Le Rapporteur spécial sur le droit à la santé du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, M. Anand Grover, se rendra au Japon du 15 au 26 novembre 2012. Cette visite fait suite à la visite à l’ONU à Genève le 30 et 31 octobre du maire de Futaba (Japon), Katsutaka IDOGAWA, et de Maitre Toshio YANAGIHARA (avocat qui représente les enfants de Fukushima dans le procès qui exige leur évacuation des zones contaminées). La visite a été demandée par certains gouvernements et des ONGs, parmi lesquelles ACSIR (Association japonaise de citoyens et scientifiques concernés par les irradiations internes), qui a parrainé la venue à Genève du maire de Futaba et dont des membres ont participé au Forum organisé par IndependentWHO en mai dernier. ACSIR vient d’adresser au Rapporteur spécial une lettre qui est particulièrement alarmante.
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Cher M. Grover,
Je vous écris au nom de l’Association de citoyens et scientifiques concernés par les irradiations internes (ACSIR). ACSIR compte environ 600 membres, parmi lesquels il y a beaucoup de médecins. Nous tenons à porter les questions suivantes à votre attention afin que, lors de votre séjour à Fukushima, vous soyez au courant des circonstances dans lesquelles les citoyens, en particulier les enfants, sont contraints de vivre.
1. Le niveau de contamination dans lequel les enfants sont contraints de mener une vie normale.
Les zones où le gouvernement japonais et les autorités de la préfecture de Fukushima recommandent aux citoyens de vivre et de mener une vie normale sont encore fortement contaminées. Elles comprennent la ville de Fukushima, capitale de la préfecture de Fukushima, la ville de Koriyama et la ville de Date. Bien qu’elles soient désignées comme des «zones de sécurité», elles sont fortement contaminées.
Voici quelques exemples fournis par les résidents de ces régions, ainsi que par un spécialiste des radiations :
1.1. Dans la ville de Date, district d’Oguni, à l’arrêt de l’autobus scolaire pour l’école primaire d’Ogumi, il y avait 10micro Sv/h le 18 Octobre 2012 et à côté de la piscine de l’école, il y avait 27micro Sv/h. Les deux doses ont été mesurées par le Dr Alexey Nesterenko, directeur de l’Institut de radioprotection (BELRAD), au Bélarus, qui a récemment visité Fukushima et a été choqué de constater le fait que les enfants vivent et vont à l’école dans une zone si fortement contaminée. Ces doses et ses commentaires sont rapportés dans Shukan Kinyobi, Vol.20, n ° 41, 26 Octobre, 2012. Vous pouvez communiquer avec le Dr Nesterenko pour de plus amples informations ou nous pouvons vous envoyer l’article en version PDF. 10 micro Sv/h donnent 88 milliSv/an, et 27 micro Sv/h donnent 237 milliSv/an. Les deux doses sont équivalentes à celles de la zone d’exclusion de l’Ukraine en 1991 (ministère de l’Ukraine des situations d’urgence, 2011). Selon la loi japonaise actuelle, 1 milliSv/an est la dose admissible pour les civils. Cependant, au cours des 19 derniers mois, les enfants ont été obligés d’aller à l’école où la contamination a généralement été de 88 milliSv/an, et parfois 237 milliSv/an.
1.2 Le Centre Fukushima Agricultural Technology à Koriyama-ville a signalé le 29 octobre 2012, un fait étonnant : pendant six jours, on a testé des radis japonais séchant sous les combles (0,6 micro Sv/h) d’un bâtiment en béton. L’essai a montré que le radis séché qui avait à l’origine 0 Bq a été mesuré à 3421 Bq/kg. La conclusion est la suivante: cette dose n’est pas dûe au mécanisme de concentration du rayonnement dans le processus de séchage, mais bien au rayonnement provenant de la poussière/air autour de l’endroit où le légume l’a absorbée. A partir de ce résultat, nous pouvons facilement prédire que les enfants de l’école voisine ont respiré des poussières radioactives. Le rapport est disponible à
http://www4.pref.fukushima.jp/nougyou-centre/kenkyuseika/kenkyu_seika_radiologic.html
La photo ci-dessous montre la mesure du rayonnement de 6,95 micro Sv/h dans la même ville, Koriyama, plus précisément dans un parking de Kaisei Park, le 5 novembre 2012, prise par le Dr. Takemoto (voir ci-dessous dans notre demande). Les enfants devraient avoir le droit de jouer et d’être éduqués dans un endroit sûr.
1.3 La tromperie des mesures du rayonnement par le gouvernement
Le vice-président de notre association ACSIR, le professeur Katsuma Yagasaki (professeur émérite, Université de Ryukyu, Physique de la matière condensée) et son équipe (principalement des citoyens de Fukushima) ont donné une conférence de presse le 5 octobre 2012, pour communiquer leurs conclusions à propos de la différence entre leurs mesures des doses et celles données par le gouvernement. Pour plus de détails, veuillez voir sous http://www.acsir.org/. En raison de leur mesure exhaustive de plus de 120 moniteurs dans la préfecture de Fukushima, ils ont découvert que les valeurs données par le gouvernement sont inférieures de 50-70% à celles des lieux non décontaminés à proximité.
Un mois plus tard, le 7 novembre 2012, le ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et de la Technologie, a admis que les valeurs de leurs moniteurs sont inférieures aux valeurs réelles.
Voir leur communiqué de presse :
http://radioactivity.mext.go.jp/ja/contents/7000/6437/24/203_1107.pdf
1.4 Le gouvernement de Fukushima et le gouvernement japonais ont fait la promotion de la reconstruction de Fukushima, en encourageant les personnes évacuées de zones réglementées (zones plus fortement contaminées que dans les villes ci-dessus) à revenir dans ces zones fortement contaminées. Les administrations incitent même les jeunes à revenir dans ces zones. Voici une affiche du gouvernement de la préfecture de Fukushima (octobre-novembre 2012) pour le recrutement de personnel pour les postes de ces villages dans les zones réglementées: ville de Futaba, ville d’Okuma, ville de Tomioka, ville de Namie, etc.
Si le gouvernement préfectoral envoie des jeunes dans ces zones fortement contaminées pour y travailler et y vivre, ce sera une violation des droits de l’homme ainsi qu’une violation de la Constitution japonaise qui garantit les droits fondamentaux de la santé, de la sécurité et le bonheur du peuple ( l’article 13, Premier Ministre du Japon et son cabinet). http://www.kantei.go.jp/foreign/constitution_and_government_of_japan/constitution_e.html
2. Les aliments contaminés et leur distribution, en particulier pour les enfants à l’école.
Les gouvernement japonais et de la préfecture de Fukushima ont envoyé des messages contradictoires sur l’alimentation et la contamination. Le 8 octobre 2012, le Premier ministre a fait vérifier par un système de surveillance radiologique tout le riz produit dans la préfecture de Fukushima (Fukushima Minpo journal, octobre 8, 2012, http://www/minpo.jpnews/detail/201210084119). Quatre jours plus tard, le ministre de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche a suggéré lors d’une conférence de presse que le contrôle radiologique de tous les riz soit supprimé et que, aussi longtemps que le contrôle aléatoire du riz dans le même district donnerait une dose acceptable, le riz soit distribué. (Ministère de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche, http://www.maff.go.jp/j/press-conf/min/121012.html). Cette recommandation aura un effet dévastateur sur les enfants non seulement de Fukushima mais pour tout le Japon, car ils seront tous susceptibles de manger à l’école du riz contaminé. C’est bien connu de par l’expérience de la catastrophe de Tchernobyl que les points chauds radioactifs sont dispersés irrégulièrement et que dans le même district, il y a beaucoup de différentes doses allant de points moins contaminés aux endroits fortement contaminés. C’est pourquoi le système de surveillance radiologique de tous les riz a été introduit. Nous pensons que la santé de nos enfants doit être protégée à tout prix.
3. Enquêtes sur la gestion de la santé des résidents de la préfecture de Fukushima
Cette enquête menée par les professeurs Shun-ichi Yamashita et Shin-ichi Suzuki du Service médical de l’université de la préfecture de Fukushima a été controversée en raison notamment de ses recommandations concernant les enfants. Le professeur Yamashita est maintenant connu dans le monde entier pour sa remarque: «Il n’y a pas de mal d’irradiation jusqu’à 100 mSv pour les citoyens. » (OurPlanetTV mai 3,2011 http://www.ourplanet-tv.org/?q=node/ 1037).
Au début de cette année (16 Janvier 2012), les Profs. Yamashita et Suzuki ont envoyé une lettre aux membres Association japonaise de la thyroïde (Prof. Yamashita en est le président), demandant que, pour les deux prochaines années, ils n’examinent pas les enfants de 0 à 18 ans qui avaient été examinés par l’équipe d’enquête et dont le diagnostic avait trouvé des nodules inférieurs à 5 mm ou des kystes de moins de 20 mm. Cette lettre a été rendue publique depuis que Dr Takemoto de la ville de Koriyama en a obtenu une copie après une demande de communication. La traduction en anglais de la lettre est disponible sur le Fukushima Voice : http://fukushimavoice-eng.blogspot.jp/2012_05_01_archive.html
En contraste avec cette vision optimiste de l’équipe d’enquête, il y a un rapport d’alerte fait par les professions médicales. Veuillez vous référer à la déclaration de M. Matsuzaki Michiyuki (membre ACSIR) : résultat de l’Enquête sur la gestion de la santé des résidents de la préfecture de Fukushima :
http://fukushima-evacuation-e.blogspot.jp/2012_07_01_archive.html
En conclusion, l’équipe de l’enquête a négligé de s’occuper des résidents de Fukushima et des enfants en tant que professionnels médicaux. Leur manque de traitement comprend le refus de divulguer aux sujets examinés les résultats détaillés des examens échographiques, le refus d’un examen plus approfondi des enfants présentant des nodules et des kystes et la pression sur les autres institutions médicales, y compris les hôpitaux, de ne pas examiner les résidents de Fukushima pour des symptômes liés à l’irradiation. Les résidents de Fukushima ont de nombreux épisodes de ce genre à raconter de la part de médecins qu’ils ont consultés. C’est aussi une violation des droits de l’homme.
Nous vous demandons ceci :
Nous aimerions que vous parliez aux citoyens de Fukushima pour vérifier les faits ci-dessus, et pour obtenir des informations de première main de leur part. Puis-je vous suggérer de rencontrer, pour information et pour notre appel au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, les deux personnes suivantes ?
1. Mme Miwa CHIWAKI: résidente du village de Nishigo, Fukushima, membre d’ACSIR et membre actif du Réseau de Fukushima pour sauver les enfants du rayonnement. Mme CHIWAKI a été invitée par l’IndependentWHO(Genève) pour faire rapport au Forum de Genève, « Forum scientifique et citoyen sur la radioprotection: de Tchernobyl à Fukushima, » le 12 mai 2012.
2. Dr Yasushi TAKEMOTO (docteur en médecine, spécialisé en chirurgie buccale): résident de la ville de Koriyama; conseiller auprès d’un groupe de citoyens « Sécurité et action à Koriyama ».
Cordialement,
Shoji SAWADA, professeur émérite (physique), Université de Nagoya
Président de ACSIR