Une ville antinucléaire, quel rêve ce doit être pour le maire de Futaba dont la ville est rayée de la carte à cause de la radioactivité et dont la population est bannie pour des décennies depuis l’explosion de la centrale de Fukushima, à 3 km de chez lui. Venu à Genève pour témoigner à l’ONU, le maire Katsutaka Idogawa a été reçu par le maire de Genève Rémy Pagani, qui a pu lui exprimer toute la sympathie et le soutien des Genevois.
Plusieurs membres de ContrAtom et de Independent Who étaient de la partie. « Y a-t-il d’autres maires qui se joignent à vous pour protester contre la politique du gouvernement japonais qui ignore les problèmes de santé des populations qui doivent vivre ou même retourner dans les zones contaminées ? » demande Rémy Pagani. « Non, je suis le seul ! » « Comment expliquez-vous cela ? » « Parce que les autres maires croient les mensonges des autorités qui minimisent le danger. Elles ne donnent pas les mesures réelles de la radioactivité. Elles ont aussi multiplié par 20 les doses maximales recommandées par les organisations spécialisées internationales : 20mSv par an chez nous et 1mSv seulement dans le reste du monde. Nous sommes des cobayes. »
Le maire de Futaba nous montre qu’après Tchernobyl les autorités de l’Union soviétique avaient évacué les populations de zones bien moins polluées. Nous savons que même ainsi, le nombre d’enfants malades à l’heure actuelle dans les zones non-évacuées est estimé à 80 % par les pédiatres locaux. Le maire vient chercher du soutien pour que les enfants soient évacués dans des régions saines de leur pays. Son courage déterminé impressionne.
Au Conseil des droits de l’Homme
Après l’atmosphère chaleureuse de la réception à la mairie, la réunion d’information organisée à l’ONU était du genre sévère. Il s’agissait pour le maire et pour l’avocat qui l’accompagnait de faire connaître la vérité sur la situation des habitant·e·s, évacués ou non, en priorité l’état de santé des enfants. Ils avaient préparé des recommandations à présenter au gouvernement japonais, qui était en train de passer au Conseil des Droits de l’homme son examen périodique sur le respect des droits humains dans leur pays. Procédure lourde mais qui permet aux associations d’interpeller leurs autorités sur les violations des droits avec le monde entier comme témoin. Des enfants non soignés qui mangent de la nourriture contaminée, respirent de l’air radioactif, c’est une atteinte aux droits de l’enfant. Une presse bâillonnée, des informations mensongères, c’est une atteinte au droit à la liberté d’expression et à l’information.
Droit à l’évacuation pour les enfants menacés
Maître Toshio Yanagihara représente 14 enfants du « Fukushima collective evacuation trial » qui ont déposé plainte pour obtenir leur évacuation de la ville de Koriyama, fortement contaminée. Ce procès est en cours. S’il est gagné, ceci établira un droit à l’évacuation de tous les enfants en danger. On estime leur nombre de 200 000 à 300 000. L’avocat analyse comment son gouvernement applique bien les leçons qu’il a tirées de Tchernobyl pour éviter les frais d’indemnisation et pour ne pas nuire à l’industrie nucléaire: augmenter les doses admissibles, cacher les maladies déjà apparentes en ne prenant pas systématiquement les mesures de radioactivité interne et en n’établissant pas de statistiques, contrôler l’information…
Désinformation officielle
Le maire Katsutaka Idogawa reprend ses paroles du matin. Nous voyons des photos des nouveaux appareils de mesure installés par les autorités: ils affichent 40 % moins de radioactivité ambiante que ceux qui étaient réglés sur les normes internationales. Un jeune étudiant japonais, Takafumi Honda, qui représente le « World network for saving the children from radiation », vient nous lire une lettre d’une adolescente de la région de Fukushima qui est inquiète et se demande si elle pourra avoir des enfants et s’ils seront normaux.
Le professeur Michel Fernex parle des anomalies congénitales qui surviennent après l’ingestion ou l’exposition à la radioactivité : le génome est attaqué et des anomalies apparaissent. Ces anomalies se transmettent aux générations suivantes. On note déjà autour de Fukushima une augmentation des fausse-couches et de la mortalité périnatale, des nouveaux-nés au poids réduit, des enfants avec des anomalies de la glande thyroïde, des morts subites. Les cancers apparaîtront plus tard, nous dit-il. Il est urgent que les enfants et les femmes enceintes soient évacués et qu’une nourriture saine soit disponible pour tou·te·s les habitant·e·s.
Devant l’OMS, depuis 5 ans…
Les Japonais sont aussi aller saluer les vigies du collectif « Independent WHO », militant-e-s qui veillent tous les jours devant l’OMS depuis plus de 5 ans, en demandant que l’OMS fasse son travail qui est d’assurer la meilleure santé possible aux populations. Or l’OMS n’a plus de département qui s’occupe de l’effet des radiations sur la santé. Elle a abdiqué ses responsabilités et cautionne les politiques du lobby nucléaire, lui-même soutenu par les puissances nucléaires.
Nos hôtes et les vigies présentes étaient très émus par cette visite qui symbolise la solidarité réciproque et l’engagement de tant d’associations pour mettre un terme à cet assassinat de tant de vies.
Odile Gordon-Lennox (membre d’Independent WHO)
Article paru dans Solidarités N° 217 le 09/11/2012