Suite à la publication d’un article du journal Mainichi Daily News, Michel Fernex, professeur émérite de la Faculté de médecine de Bâle et ex-membre des Comités Directeurs de TDR (Programme spécial de Recherche pour les Maladies Tropicales) à l’OMS, a réagi pour donner des avertissements et apporter des recommandations sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Fukushima.
En lisant l’article du Mainichi Daily News, à propos des problèmes de santé après l’accident nucléaire de Fukushima, on peut se poser une question : quelle institution pourrait conseiller les autorités sur les meilleures dispositions à prendre pour protéger la population et diminuer les souffrances des victimes ?
La responsabilité de la direction de l’usine commence avec les erreurs dans la conception et la construction de la centrale, l’absence d’information sur les dommages réels dus au tremblement de terre, plus d’une heure avant que le reste de la vague du tsunami ne fasse des milliers de victimes 100 km plus loin. Ces erreurs ont été la cause du retard apporté à la réduction et à l’arrêt de la contamination de l’air, des sols et de l’eau.
L’OMS subordonné à l’AIEA
Conformément à sa constitution (1946), l’Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) se doit de fournir une assistance technique dans le domaine de la médecine, en cas d’urgence, si cela est demandé par les gouvernements, ou simplement après l’acceptation de telles interventions. L’OMS doit fournir toutes les informations, donner des conseils et offrir une assistance concernant la santé. Elle doit former une opinion publique bien documentée sur la santé. Aucune de ces obligations n’a été respectée.
Ceci ne s’est pas produit pour des raisons historiques. L’OMS a signé en 1959 avec la toute nouvelle Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) un accord voté par l’assemblée Générale (WHA 12.40) qui a mis fin à l’indépendance de l’OMS dans le domaine de l’industrie nucléaire. De plus récentes décisions confirment le retrait des activités de l’OMS dans le domaine des radiations ionisantes. Cela explique que l’AIEA soit intervenue à Tchernobyl et Fukushima, et pas l’OMS.
La population ignore les statuts de l’AIEA, qui donne des directives ou contribue à prendre des décisions après une catastrophe atomique comme celles de Fukushima ou Tchernobyl. L’AIEA, avant tout, se doit de respecter les termes de ses statuts. Les lignes ci-après, tirées d’un document de l’AIEA, cité dans les publications de l’AIEA, par exemple dans les « Proceedings of the International Conference on Chernobyl », à Vienne, du 8 au 12 avril 1996. Il y est stipulé que l’Agence a pour principal objectif « d’accélérer et d’étendre la contribution de l’industrie atomique à la paix, la santé et la prospérité à travers le monde ».
En d’autres termes, cette agence des Nations Unies doit avant tout promouvoir les industries nucléaires, et soutenir ce genre de projets commerciaux. L’AIEA occupe la plus haute position dans la hiérarchie des agences de Nations Unies, y compris l’OMS, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’UNICEF et d’autres contrôlées par ECOSOP. En outre, l’OMS, d’un point de vue légal, n’est pas indépendante, ou pire est absente dans le domaine des radiations ionisantes. L’AIEA, dans la nécessité d’imposer ses buts, n’admettra pas que ces sévères maladies soient dues aux radiations. Cela risquerait de ralentir le développement et la croissance des installations nucléaires dans le monde. Les directives de cette agence représentent la défense de ces structures commerciales, bien plus que la protection des populations ou l’aide aux victimes.
Pour les autorités sanitaires nationales, l’AIEA sera donc le mauvais conseiller en cas de catastrophe nucléaire. La priorité sera donnée aux considérations économiques, et donc toute tentative d’attribuer ou d’associer des pathologies aux radiations sera réfutée. De fausses estimations peuvent retarder l’évacuation de communautés fortement irradiées.
Les effets du rayonnement selon le sexe
Choquant et encore plus incompréhensible à Fukushima a été l’absence de distribution d’iode stable à toute la population, et avant tout aux enfants, qui sont les plus menacés. Cette intervention prophylactique est peu coûteuse. Elle aurait été efficace, comme démontré en Pologne par Keath Baverstock, une campagne de ce genre est très bien tolérée, même si cela inclut des millions d’enfants, qui ont le plus besoin d’une telle protection. Un comprimé à avaler, si possible avant que le vent qui transporte l’iode radioactive, essentiellement I-131, ne traverse la région.
Le journal n’indique pas que les premières victimes de l’accident de Fukushima sont et seront les enfants. Cela commence quand la rapidité de la division cellulaire de l’embryon rend ce stade de développement 1000 fois plus vulnérable que l’adulte. Les embryons peuvent mourir, ce qui correspondrait à des avortements précoces. A la naissance, 5% des bébés filles ont manqué dans les années qui ont suivi l’explosion de Tchernobyl, en comparaison avec les statistiques d’avant 1986. Les plus importantes différences dans l’équilibre des sexes, avec plus de 5% d’enfants femelles manquant, ont été enregistrées au Bélarus et en Russie, les pays qui ont subi le plus de retombées radioactives. Une diminution des filles à la naissance a été également enregistrée en Europe de l’Est et dans les Balkans après Tchernobyl. Même en Allemagne, on a enregistré un déficit notable de filles à la naissance. Toutefois, en France et en Espagne, où les retombées ont été faibles ou localisées, aucun changement dans l’équilibre des sexes à la naissance n’a été enregistré. Cela montre que ce décalage est proportionnel à l’intensité des radiations ionisantes.
Le rapport normal entre les sexes, inégal, correspond à environ 1045 nouveaux-nés mâles pour 1000 nouveaux-nés femelles. Ce pourcentage est plus ou moins constant à travers le monde. Il y a d’autres exemples où le décalage entre sexes est plus important, en liaison avec une radioactivité accrue. Par exemple, dans la vallée de Kerala, présentant une radioactivité ambiante due au monazite, un sable riche en thorium, avec une activité six fois supérieure à la normale, provoque un accroissement significatif de mutations dominantes, ainsi que de la trisomie 21, de même qu’une augmentation de la disparité entre les sexes, par comparaison avec la vallée voisine qui présente une radiation normale (Padmanabham).
A Tchernobyl, on a constaté une mortinatalité, une mortalité périnatale ainsi que des malformations congénitales. Les déficiences cardiaques sont constatées beaucoup plus tard. L’irradiation des fœtus in utero peut conduire à un accroissement des leucémies et cancers (tumeurs du cerveau), comme démontré dans les années 50 par Alice Stewart.
Rayonnement et dysfonctionnement immunitaire
A Tchernobyl, la fréquence de diabète sucré de type 1 a augmenté chez les enfants, et spécialement chez les jeunes enfants et les bébés, où la maladie provoque un coma puis un décès. Ceci est provoqué par des défauts dans le système immunitaire ou une mutation. Généralement, des facteurs héréditaires peuvent être trouvés dans ces cas-là ; les parents ou grands-parents souffrent de problèmes similaires. A Tchernobyl, le diabète sucré de type 1 n’existe pas dans la famille. Le diabète sucré de Tchernobyl semble être une nouvelle maladie.
Il est prouvé qu’au Bélarus, le système immunitaire a été gravement affecté après l’accident. Donc, à la fois les globules blancs et les gamma globulines doivent être étudiées avec un suivi prolongé sur la population de Fukushima (voir les publications du Pr. Titov). Les résultats devraient être comparés avec ceux d’études similaires effectuées sur des populations d’enfants éloignées des retombées radioactives, par exemple une région comparable près de Kobe ou Kyoto.
Lorsque l’on étudie le système immunitaire d’enfants irradiés, il faudrait prêter attention aux auto-anticorps par rapport aux cellules beta des îlots de Langerhans dans le pancréas, et par rapport aux cellules de la thyroïde. La thyroïdite de Hashimoto a la même étiologie que le diabète sucré de type 1. D’autres glandes endocrines, comme celle produisant des hormones sexuelles, peuvent être responsables de problèmes fonctionnels, spécialement pendant la puberté : retards menstruels ou même épidémie de stérilité masculine, comme décrit en Ukraine. La fréquence des maladies allergiques peut également s’accroître dans les populations d’enfants irradiés. Là encore, une comparaison avec des communautés à l’abri des retombées radioactives sera nécessaire.
L’hyper-sensibilité de cellules (culture de lymphocytes) d’enfants irradiés, après une brève exposition aux rayons-X de la culture cellulaire, devrait être étudiée à Fukushima, comme cela a été fait à Tchernobyl par le Pr. Pelevina. L’altération du système immunitaire contribue à n’en pas douter à l’accroissement des maladies infectieuses chez les bébés et les enfants de Tchernobyl, même après des années, si les enfants continuent à absorber de la nourriture radio-contaminée. Les infections on des conséquences plus graves, avec des complications et une tendance à devenir chroniques, par comparaison avec des enfants de régions non contaminées.
Les radiations ionisantes induisent une instabilité du génome, directement transmissible de génération en génération. Ceci doit être étudié et suivi pendant des générations, en commençant par les grands-parents dès maintenant.
Irradiation et cancer
Le taux de cancer de la thyroïde, extrêmement rare chez de jeunes enfants, peut augmenter même avant l’âge de 5 ans, un âge auquel on s’attend normalement à un cas sur un million de cette maladie maligne. Si l’irradiation se produit in utero, ou tôt après la naissance, le temps de latence peut être très court, et un cancer papillaire de la thyroïde, rapidement envahissant, peut se développer chez de très jeunes enfants. Tchernobyl a provoqué plusieurs autres maladies de la thyroïde, comme des goitres, des thyroïdites, et désordres fonctionnels. Les autres cancers ont des temps de latence plus longs, jusqu’à 35 ans. Cronberg en Suède et Okeanov, au Bélarus, ont trouvé une nette tendance à l’accroissement de différents cancers 10 ans après Tchernobyl, et une augmentation significative de tous les cancers communs après 20 ans.
L’irradiation de jeunes adultes entraîne un vieillissement prématuré ; l’apparition prématurée de cancers participe de ce phénomène. L’accroissement des cancers était plus prononcé chez les plus jeunes des liquidateurs de Tchernobyl que chez les plus âgés, pour la même exposition aux radiations. Okeanov a en outre montré que parmi les liquidateurs, la durée de l’exposition aux radiations était un facteur de risque plus important que la dose. (Cf. Proceeding of an intentional conference, AIEA, Vienne, p. 279, 8-12 April 1996). Lors de l’étude des problèmes des cancers, il ne faut pas choisir la mortalité comme paramètre, la mortalité décroît année après année, mais le taux va croissant, spécialement parmi les sujets irradiés, et il est 20 ans trop tôt pour déterminer la moyenne d’âge d’apparition. Pour ça, des différences statistiques pourront être trouvées dans dix ou vingt ans.
La cécité est également plus fréquente parmi les liquidateurs les plus jeunes. C’est une maladie dégénérative de la rétine, avec une perturbation de la microcirculation qui atteint la macula après quelques années.
A Tchernobyl, la première cause de décès dus aux radiations n’est pas le cancer, mais les maladies cardio-vasculaires, l’hypertension, avec complications cérébrales et cardiaques. Les médecins peuvent protéger les patients de ces complications.
Des années après Tchernobyl, les enfants avec une grande concentration de Cs-137 dans l’organisme sont malades dans 80% des cas, et ont souvent des problèmes cardiaques. Avant Tchernobyl, et dans les régions du Bélarus où les retombées radioactives sont minimales, seulement 20% des enfants peuvent être considérés en mauvaise santé, comme c’était le cas au Bélarus avant la catastrophe.
La thyroïdite de Hashimoto et le diabète sucré de type 1 touche toujours de jeunes bébés. D’autres maladies endocrines, comme celles provoquées par des anomalies des hormones sexuelles peuvent être responsables de dysfonctionnements, en particulier chez les filles pendant la puberté, avec des retards de menstruation, et chez les garçons, avec une stérilité.
Il est important que des études similaires soient entreprises à Fukushima, avec toujours la possibilité de comparer les résultats, avec un groupe de référence, dans un environnement similaire, mais sans retombée radioactive. L’âge, la répartition des sexes, les professions, les modes de vie de la population devraient être les mêmes. Les régions radiologiquement propres pour la comparaison devraient êtres choisies autour de Kyoto et de Kobe.
Eviter l’exposition interne
Les mesures à prendre pour protéger les enfants consistent avant tout à éviter l’absorption de radionucléides avec les boissons et les aliments. Il faut fournir des aliments et des boissons propres à tous les enfants, à la maison et dans les réfectoires à l’école. Des vacances dans des régions non contaminées sont également bénéfiques.
La pectine réduit l’absorption de radionucléides, Sr-90, Cs-137 et dérivés de l’uranium. Elle accélère également l’élimination des radionucléides à la fois dans les selles et l’urine. Cet additif alimentaire est considéré par les experts du Laboratoire de la Commission Européenne à Ispra (Italie) comme sûr et efficace pour cette indication (Nesterenko V.I. & al. SMV 134: 24-27. 2004).
Les enfants contaminés peuvent aussi être protégés avec des vitamines E et A, ainsi qu’avec des carotènes, qui agissent en tant qu’antioxydants. Les mères devraient donner des carottes, des betteraves et des fruits rouges, qui contiennent de tels antioxydants, à leurs enfants.
La dose de radiation externe est une bien moindre source de pathologies que la dose interne dus à l’absorption de radionucléides, qui s’accumulent dans les organes tels que thymus, glandes endocrines, rate, surface des os et cœur. Bandazhevsky a démontré après Tchernobyl (SMW 2003;133:488-490) que l’on détecte à l’autopsie des concentrations de Cs137 deux fois supérieures dans les organes des enfants que dans ceux des adultes de la même région. Les plus fortes concentrations sont mesurées dans le pancréas et le thymus des nouveaux-nés et des bébés.
Les dosimètres donnés aux enfants devraient être remplacés par des spectromètres du corps entier transportés périodiquement dans les écoles pour contrôles. Ils donnent une mesure de la charge de Cs-137. Si la valeur mesurée dépasse 20 Bq/kg de poids du corps, des cures de pectine s’avèrent nécessaires, et la nourriture contaminée doit être remplacée par de la nourriture et des boissons saines.
Ces remarques font suite à l’article du Mainich Daily News. Il confirme que parmi les adultes, aucun décès n’a eu lieu pour l’instant. Les problèmes épidémiologiques et médicaux doivent être étudiés et traités de la naissance à la puberté par des pédiatres, des généticiens et des immunologiques, dans les communautés irradiées. Ils devront comparer la situation présente à Fukushima avec les observations faites dans des régions comparables, mais non contaminées.
A Biederthal, le mercredi 30 novembre 2011